Stage de 3e

On a rencontré la professeure qui a inventé les stages de 3e en entreprise

Isabelle Boulais, professeure de technologie dans le Val-de-Marne, a organisé les premiers « stages de 3e » en 1985, pour éviter à ses élèves de connaître la même déconvenue professionnelle qu’elle. Elle estime que ce dispositif est aujourd’hui dénaturé parce qu’on ne donne pas assez de temps aux collèges pour le mettre en place.

Ouest-France Claire THÉVENOUX.
Publié le 19/03/2023 à 08h30

Envoyer des élèves de 3e en entreprise pour découvrir le monde du travail : l’idée est venue à Isabelle Boulais dès sa première année d’enseignante en technologie. On est en 1983, elle a 26 ans et, au collège du Parc à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne), elle doit faire cours à pas mal d’élèves en difficulté. « Ils avaient besoin de concret. »
Isabelle Boulais a vite fait de convaincre sa cheffe d’établissement qui l’aide à se lancer. En 1985, elle place les trente élèves de l’une de ses classes en entreprise. Elle ne sait pas encore qu’elle vient d’inventer les premiers « stages de 3e » de France.
Inspirées de son idée lumineuse, ces « séquences d’observation » (nom officiel) permettent aujourd’hui à près de 580 000 collégiens chaque année de se frotter au milieu professionnel pendant cinq jours. Elles ont été rendues obligatoires par l’Éducation nationale des années après, en 2005.

« Un élève par entreprise »

Quand Isabelle Boulais a l’intuition de ces stages, ce n’est pas par miracle mais à la suite d’une déconvenue. « Avant d’être enseignante, j’ai travaillé dans une banque. » C’est même dans ce but qu’elle s’est inscrite en BTS de secrétariat de direction quadrilingue, raconte cette fille de commerçants, sympathique et posée, qui puise son énergie dans le chant.? « Mais à la fin de mes études, lors d’un stage, j’ai compris m’être complètement fourvoyée, ça ne me correspondait pas du tout ! »

Trop tard pour bifurquer immédiatement. ?Isabelle Boulais réussit à sortir de la banque un peu plus tard, par l’enseignement. D’abord professeure de langues, elle obtient ensuite, grâce à ses connaissances en informatique, le Certificat d’aptitude au professorat de technologie, qui venait d’être créé. À 66 ans, elle en sourit mais l’expérience fut cuisante. « C’est pourquoi j’ai voulu envoyer les élèves en entreprise, pour qu’ils sachent, avant d’entamer des études, si le métier qu’ils ont choisi va leur plaire ou pas. »
Pour organiser les premiers stages de 3e, elle commence par démarcher des entreprises dans les secteurs voulus par les enfants. « Je voulais qu’ils soient seuls, pas à quinze comme une colonie de vacances. Il a donc fallu que je trouve trente entreprises. »
Une opération « moyennement facile. Il y avait pas mal de racisme à ce moment-là. Un élève s’était pris en pleine figure qu’on ne voulait pas d’un Portugais. Il fallait aussi expliquer que les élèves avaient appris à se comporter, c’était très important ».

« Ils y seraient allés en jogging ! »

Autre problème : convaincre les parents. « La moitié d’entre eux était foncièrement contre parce qu’on sortait les enfants du cocon. » Restait encore à préparer les élèves : comment se présenter, comment s’habiller… « Certains y seraient allés en jogging ! Je leur apprenais aussi à téléphoner. Sourire au téléphone… Ça a l’air tout bête, mais pour un adolescent, ce n’est pas facile. »
Les stages portent leurs fruits. Dès l’année suivante, les parents les réclament. Les jeunes reviennent souvent enchantés et plus clairvoyants. « Des élèves qui voulaient devenir vétérinaires ont changé d’avis après s’être rendu compte qu’il fallait opérer les animaux. » D’autres consolident leur projet : « Une jeune fille a été recrutée dès son stage dans un cabinet d’avocats. Ils ont attendu qu’elle ait fait ses études de droit ! »

« Pas d’heures dans l’emploi du temps »

Trente-huit ans plus tard, à quelques mois de prendre sa retraite, Isabelle Boulais ne cache cependant pas sa déception. « Les stages d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient au départ. On a obligé tout le monde à les faire sans donner de temps pour les organiser et préparer les élèves. »
Elle regrette qu’« il n’y ait pas d’heures prévues dans l’emploi du temps. Les professeurs principaux se retrouvent en charge des stages en plus du reste et ils n’ont pas forcément envie de s’en occuper. Les élèves se débrouillent sur Internet et avec leurs parents pour trouver une entreprise. Beaucoup vont à côté de chez eux, dans la boîte de papa-maman, parce que c’est plus simple, même si ce n’est pas le métier dont ils ont envie. »
De plus, « ceux qui ont la chance d’avoir des parents qui travaillent dans une grande entreprise vont trouver plus facilement. C’est inégalitaire ».
Elle continuera quand même à penser à « ses » stages de 3e avec affection. « J’y ai passé beaucoup de temps, beaucoup d’énergie. C’est mon bébé. »

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https://www.leparisien.fr/societe/cette-prof-a-eu-lidee-folle-dinventer-les-stages-de-troisieme-en-1985-17-12-2023-XTUB7GSJPNDLFA2WYYD7IMFDQI.php