Vol de prénom |
Le vole du prénom d'un bébé qu'un proche a choisi pour son prochaine enfant et qui vous a été explicitement révélé est un des actes les plus méprisables qu'il existe, et ceux-ci d'autant plus que cette personne est proche de vous.
Ce prénom, vous l'avez en tête depuis l'adolescence, repéré dans un film culte ou un bouquin. Mais un proche l'a choisi avant vous pour son bébé. Comment réagir ? Et s’il était au courant, peut-on parler de "vol de prénom" ?
« Comment a-t-elle pu me faire ça ? » Constance souhaitait appeler son fils William depuis toujours. Mais voilà que sa belle-sœur qui vient d’accoucher lui a "piqué" son idée. Profondément blessée et en colère, elle ne sait pas comment réagir face à ce qu’elle considère comme une "trahison". En effet, choisir un prénom pour son bébé n’est pas une décision que l’on prend à la légère. Comme Constance, on a parfois en tête des idées avant même d’avoir conçu un enfant.
Et son cas n’est pas isolé. De nombreux parents estiment que "le vol de prénom" est un véritable phénomène. Récemment, une enquête du site Today auprès de ses lecteurs a révélé que la plupart d'entre eux considéraient qu'il ne fallait pas utiliser un prénom si un autre couple avait émis l'idée de le choisir.
Existe-t-il une sorte de « copyright » sur les prénoms ?
Le choix du prénom d’un enfant est un questionnement déjà suffisamment compliqué, alors doit-on vraiment prendre en compte les projections et envies de nos proches, pour ne pas risquer ce genre de drames ? Et comment réagir si un proche prénomme son enfant avec notre prénom coup de cœur ? Doit-on lui en vouloir s’il était au courant ? Peut-on tout de même choisir de garder ce prénom pour notre petit bout ?
Sur The Stir, une blogueuse a tranché : les parents ont le droit de choisir le prénom qu'ils souhaitent, même si celui-ci a déjà été "pris" ou "réservé" par une personne de leur entourage ! Effectivement, rien ne l’interdit. Dans le fond, à moins d’inventer un prénom de toute pièce, d'autres parents auront probablement la même inspiration que vous. Par ailleurs, si vous renoncez à donner le prénom de votre choix à votre enfant à cause d'un ami, vous vous privez peut-être pour quelqu’un qui dans 15 ans ou peut-être même l’année prochaine ne fera plus du tout partie de votre cercle. Alors pourquoi sacrifier ses goûts ?
"Je serais vexée", "c'est déplacé" : le vol de prénom, un sujet sensible
Pour ne pas blesser, bien sûr. Le choix du prénom est en effet devenu une étape qui fait de plus en plus appel aux sentiments et aux goûts. « Je serais vexée qu’une amie ou un membre de ma famille choisisse le même prénom que l’un de mes enfants, surtout si elle ne me prévient pas, admet Audrey, maman de Nina, 5 ans et Léon, 2 ans. Mais je n'ai aucun droit sur ces prénoms, ils ne m'appartiennent pas. Et puis, d'autres enfants s'appellent déjà comme ça », relativiste-t-elle.
« Ma sœur a un prénom coup de cœur fille dont elle nous a fait part il y a des années de cela, raconte Sarah sur un forum. Sachant cela, je trouverais déplacé de le donner si j'avais une fille, à moins d'en parler au préalable avec elle, et encore... J’en parlerais avec elle pour voir si ça ne la gêne pas, pour avoir son consentement en quelque sorte. Certes, ce prénom n'est pas le sien, et en principe, je n'ai pas besoin de sa permission. Mais ça me paraîtrait logique et naturel, une sorte de politesse, de m'assurer auprès d'elle que ça ne la dérange pas. » Quelle est donc la marche à suivre ?
Votre enfant sera unique, quoiqu’il arrive
Demander l’autorisation préalable semble s’enregistrer dans une bonne démarche de dialogue, mais cela suffit-il à calmer le jeu ? Et pourquoi cela peut-il autant contrarier, voire blesser ? Certainement car le prénom reflète une histoire et une identité. Vous souhaitez le donner à votre enfant car vous l’aimez, il représente quelque chose de précieux à vos yeux, une histoire qui vous appartient, et ce "vol de prénom" porte atteinte à cette identité… mais bien plus à la vôtre qu’à celle de vos enfants.
En effet, les multiples Marie, Julie, Paul ou Louis s’en sortent-ils moins bien ? On ne croit pas. Si vous avez un coup de cœur pour un prénom, donnez-le à votre enfant, peu importe si un proche ou dix ont déjà opté pour celui-là. Vous avez le droit d'être en colère, mais le plus important reste le bonheur de devenir parents, car gardez donc bien une chose en tête : votre enfant sera unique, quel que soit son prénom.
Mais comment a-t-elle osé appeler sa fille comme la mienne !
Elissa Strauss — Traduit par Bérengère Viennot — 24 mars 2016 à 5h31
Certains parents en sont persuadés, le vol de prénom d'enfant par des proches existe. Ils en ont même été victimes. Mais peut-on raisonnablement être d'accord avec eux ?
Dans un texte récemment publié sur Cosmopolitan.com, l’auteure Megan Woolsey se plaint de la manière dont s’est terminée l’une de ses plus longues amitiés. Elle et «Jessica» étaient des amies d’enfance qui avaient «passé les trente premières années de (leur) vie dans une joyeuse compatibilité». Chacune était allée au mariage de l’autre, elles s’étaient organisé des baby showers pour célébrer leurs grossesses et avaient accueilli leurs nouveau-nés respectifs à la maternité. Tout allait bien jusqu’au jour où Jessica eut son deuxième enfant, une fille, qu’elle baptisa Elsie –le prénom de l’une des filles de Woolsey. Qui écrit:
«Le prénom de ma fille revêtait une importance très particulière à mes yeux. Je l’avais choisi très longtemps avant de l’avoir conçue, car je l’avais vu dans un livre spécial et je l’avais aimé tout de suite. J’avais choisi ce prénom parce que c’était un prénom juif qui sortait vraiment de l’ordinaire (à l’époque), et je savais que personne d’autre ne le porterait (plus tard il est devenu très populaire).
Ça m’a fichu un coup. Pourquoi avait-elle fait ça? Le choix de prénoms est tellement grand, pourquoi choisir ce prénom si important à mes yeux? Et si elle voulait mon prénom, pourquoi ne m’a-t-elle pas au moins demandé si j’étais d’accord –par respect?»
Woolsey attendit un mois avant d’envoyer un e-mail à Jessica pour lui faire part de sa déception. Jessica répondit «de façon odieuse». C’était il y a trois ans, et elle ne sont plus jamais adressé la parole depuis.
« Un phénomène réel »
Si les conséquences de cette affaire de prénom de bébé partagé sont dans ce cas particulièrement intenses, Woolsey n’est pas la seule à croire que le vol de prénom est à la fois une chose qui peut vraiment exister et une violation éthique. Le mois dernier, l’émission «Today» a effectué un sondage sur les prénoms donnés aux bébés, et plus de la moitié des 12.000 personnes interrogées ont affirmé que «le vol de prénom de bébé est un phénomène réel, et que si les futurs parents savent qu’un autre couple envisage de donner un prénom particulier, ils ne doivent pas l’utiliser».
Le choix du prénom est de plus en plus pour les parents un moyen d’affirmer leur individualité
Croire une telle chose est ridicule –après tout, le fait de l’aimer ne fait pas de vous l’unique propriétaire d’un prénom, et s’appeler comme un ami ou un proche n’est, au pire, qu’un léger inconvénient. Ceci dit, l’idée qu’il ne faut pas voler les prénoms des autres n’a rien de surprenant. Depuis un siècle, le choix du prénom est de plus en plus pour les parents une façon de s’exprimer, un moyen d’affirmer leur individualité plutôt qu’un sentiment d’appartenance à leur communauté. Nos noms et nos identités sont si étroitement liés qu’il semble logique que les parents deviennent de plus en plus protecteurs envers le prénom de leur enfant.
Le déclin de la symbolique de la perpétuation
Selon le sociologue Tristan Bridges, en 1950, 25% de toutes les filles et 35% de tous les garçons portaient un des 10 prénoms les plus populaires de l’époque (en France après la guerre, 10 à 15% des enfants s’appelaient Jean ou Marie) En 2010, ce chiffre tournait autour de 8% pour les deux sexes (en France, 1,71% des garçons ont reçu le prénom masculin le plus donné cette année-là, Nathan, et 1,63% des filles ont été baptisées Emma, son pendant féminin). Bridges attribue ce changement à la «théorie de la modernisation» des modes de prénoms; c’est-à-dire que la pression pour donner aux enfants un prénom traditionnel a diminué en même temps que l’importance des institutions religieuses et des cellules familiales élargies.
Bridges souligne aussi que jusqu’à très récemment –et c’est également le cas en France–, les prénoms masculins populaires étaient toujours plus donnés que leurs pendants féminins –ce qui signifie que les garçons portant les prénoms les plus appréciés étaient plus nombreux que les filles aux prénoms répandus. Il attribue ce changement à la parité et, en citant Alice Rossi, au fait qu’aujourd’hui les hommes sont moins susceptibles d’être considérés comme «les porteurs symboliques de la perpétuation de la famille ».
Les familles diplômées et à hauts revenus sont celles qui lancent les modes, et qu’elles recherchent des prénoms qui démarquent leurs enfants de la plèbe
Mais le désir de donner un prénom unique à son bébé ne se limite peut-être pas à la volonté de se distinguer, maintenant que se démarquer est devenu tendance. Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, l’équipe de Freakonomics, expliquent que donner un prénom à son enfant s’inscrit dans une démarche de réussite sociale motivée par des espoirs financiers et professionnels. Les données indiquent que les familles diplômées et à hauts revenus sont celles qui lancent les modes, et qu’elles recherchent des prénoms qui démarquent leurs enfants de la plèbe. Ensuite, le prénom « descend le long de l’échelle sociale », jusqu’à finir par se démoder.
Un véritable risque pour l'avenir ?
En ayant cela à l’esprit, les parents peuvent, consciemment ou pas, avoir l’impression que quand d’autres personnes utilisent le prénom de leur enfant, elles mettent en péril ses chances de réussite, en quelque sorte. Cependant, il reste encore à démontrer que porter un prénom populaire puisse compromettre l’avenir d’un enfant.
Comme souvent avec les parents d’aujourd’hui, le mélodrame autour du vol de prénom a davantage un rapport avec la menace qu’il représente pour l’identité des parents que pour celle de leurs enfants. Concrètement, aucun enfant n’est traumatisé par le fait de porter le même prénom qu’un camarade de classe ou qu’un cousin. J’ai été à l’école avec des fournées de Jennifer et autres Jessica et je vous promets qu’elles s’en sont sorties indemnes. Grandir dans un environnement où les prénoms sont considérés comme des propriétés privées et où le «vol» de prénom est susceptible de détruire une longue amitié est bien plus insupportable que d’avoir le même prénom qu’un autre gamin.