Cyrano de Bergerac (Acte 5 scene 2)



Le Duc, s’arrêtant, tandis quelle monte.
« Oui, parfois, je l’envie.
Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,
On sent, n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal !
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d’illusions sèches et de regrets,

Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes. »

Sous cet éclairage, nous vous proposons l’analyse suivante.
En premier lieu, il faudrait lire : « et les manteaux de duc trainent dans leur fourrure, … un bruit d’illusions sèches et de regrets, ». Il faut inverser les deux vers suivants pour la compréhension.
C’est à lui que le Duc fait référence, c’est de son manteau qu’il s’agit. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans l’acte V, c’est-à-dire le final, le temps a passé, Roxane s’est retirée dans un couvent et Cyrano va bientôt mourir.
De Guiche n’est plus le fringant aristocrate vaniteux et arrogant du début de la pièce, désormais il s’est assagi, et est un rien désabusé. Il est toujours amoureux de Roxanne, un amour à sens unique, et désormais il se montre clément avec ses rivaux d’hier puisqu’il évoque plus avant dans la scène la mémoire de Christian et tente de prévenir Le Bret de l’attentat contre Cyrano (début de la scène 3).
Ainsi il assimile ses regrets et ses désillusions aux feuilles mortes trainées par Roxane avec sa robe.
La fourrure rappelle que malgré sa réussite sociale, « Pendant que des grandeurs on monte les degrés » et ses richesses, il est frustré et malheureux.
Dans cette scène tout fait écho à son échec : Roxane aime toujours Christian au-delà de la mort, et Cyrano, son ancien rival, est « son vieil ami ».
D’ailleurs le Duc commence sa tirade par : « Oui, parfois, je l’envie », plus tôt il dit aussi de Cyrano qu’« il a vécu sans pactes, libre dans sa pensée autant que dans ses actes ».

On peut même percevoir dans cette tirade une signification plus large : tous les personnages ont vieilli et sont tous plus ou moins au crépuscule de leurs existences.
On peut ainsi établir un parallèle entre les portes du couvent et celles du Paradis, les degrés en sont alors les marches et, malgré toutes ses richesses, le Duc est désormais à égalité face à la mort avec celui qui ne possède rien, en l’occurrence Cyrano.
Roxane en robe noire, tel un ange de la mort, traîne les feuilles mortes comme elle « traîne » le souvenir de son amour perdu. Roxane est déjà morte à l’intérieur, et elle porte toujours autours de son cou la missive de son défunt amant « comme un doux scapulaire ».
C’est vers elle que convergent tous les protagonistes à la fin de la pièce : la mémoire de Christian, le Duc toujours épris et Cyrano, assassiné, qui expire dans ses bras.

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"Que dite vous, c'est inutile ! Je le sais mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès, non, non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile"
"Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas, qu''importe, je me bats, je me bats, je me bats [...] "

"Oui, vous m'arrachez tous, le laurrier et la rose arrachée mais il y a malgré vous quelque chose que j'emporte [...] sans un plie, sans une tache j'emporte malgré vous et c'est... mon panache !"
- Édmond Rostand, Cyrano de Bergerac