L’interdiction d’être seul avec un mineur

L’interdiction d’être seul avec un mineur : mythe ou réalité juridique ?

« Il est interdit de rester seul avec un mineur. »

Voila une affirmation bien connue que l’on entend dans le monde de l'encadrement d'enfant, et plus encore, depuis de très nombreuses années. Cette affirmation est parfois même devenue une quasi règle d’or incontournable, qu’il faut respecter quel qu’en soit le prix, sans oublier de la transmettre aux générations futures.

Pourtant, à y regarder de plus près, ne serait-ce pas là encore une légende urbaine ancrée dans la mémoire collective, sous couvert d’une psychose généralisée ? Ne fait-on pas encore parler une loi qui n’existe tout simplement pas ?

Si ces questions peuvent à première vue apparaitre insignifiantes voire anecdotiques, elles soulèvent pourtant de nombreux enjeux, pas toujours juridiques, et sont loin d’être aussi tranchées qu’elles ne le laissent paraitre.

I/ Mais que dit vraiment la loi ?

À la question « que dit la loi concernant le fait de rester seul avec un mineur ? », s’impose une réponse courte : elle ne dit rien !

Que ce soit dans le domaine de l’animation, de l’éducation nationale, de l’éducation spécialisée ou sportive, … aucun texte législatif ou réglementaire ne tranche la question et impose un comportement précis à adopter.

« Mais la loi dit pourtant qu’il faut laisser la porte ouverte ou demander à un autre mineur de rester ».

Voici là une autre affirmation, souvent donnée en complément de la précédente, qui s’avère juridiquement fausse. La loi ne donne en effet pas plus d’information quant aux hypothétiques possibilités qui permettraient de rester seul avec un enfant.

« Même si la loi ne précise rien, les juges et la jurisprudence nous imposent de ne pas rester seul avec un enfant. Sinon, comment prouver son innocence face aux accusations du mineur ? ».

Là encore, nous allons voir que tout n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser.

II/ De la présomption d’innocence à la jurisprudence

Tout d’abord, il n’est pas inutile de rappeler un principe fondateur de notre procédure pénale : tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable (article 9 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen). Le code de procédure pénale précise d’ailleurs que les atteintes à la présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.

La présomption d’innocence doit donc dicter le raisonnement des juges, et ne pas être oubliée des professionnels de terrain. Dans une affaire de 2005, la Cour d’appel de Paris rappelle d’ailleurs à juste titre que le rôle des juges « n’est pas de savoir s’il était psychologiquement possible que le prévenu ait pu commettre les faits, mais d’établir si celui-ci les a commis ».

Il semble donc essentiel de se rappeler une chose : la loi est avant tout là pour protéger les individus quels qu’ils soient. Par conséquent, c’est bien la partie qui accuse (via le ministère public) qui doit prouver les éléments qu’elle avance.

Ainsi, les juges ne peuvent se contenter de rumeurs ou d’hypothèses pour fonder leurs décisions, et le fait d’être resté seul avec un mineur ne constitue pas une preuve ou un élément à charge.

Lorsque l’on étudie les différentes décisions rendues par les tribunaux en la matière, on s’aperçoit en effet que les juges portent majoritairement un regard raisonné et prudent sur la question. On observe très clairement une forme de prise de recul, alimentée par la nécessité de ne pas tomber dans une psychose à outrance, comme celle vécue lors de l’affaire d’Outreau.

Pour illustration, dans une décision du 28 septembre 2005, la Cour d’appel de Paris a relaxé un animateur poursuivi pour agression sexuelle sur mineur, en relevant que le mineur en question, fragile psychologiquement et jaloux de l’animateur, avait fait des déclarations incohérentes.

De même, trois mois plus tôt, la Cour d’appel d’Orléans a relaxé un autre animateur qui, seul avec une fillette, l’aurait simplement aidée à baisser sa culotte afin qu’elle puisse faire pipi. En l’espèce, le psychologue expert n’accorde pas de crédit à la parole de l’enfant qui n’a pas dénoncé spontanément les faits et a ensuite tenu des propos contradictoires, avant de se rétracter.

Les juges rappellent à cette occasion que le fait d’être en contact avec la nudité des mineurs ne peut suffire à constituer un délit.

Cette dernière décision illustre également l’existence d’un aspect pratique que les juges ne peuvent ignorer. En effet, on dénombre de nombreuses situations où il est difficile de ne pas rester seul avec un mineur : un enfant doit être mis à l’écart parce qu’il ait nécessaire de désinfecter sa blessure ; un enfant doit être accompagné pour aller se changer ou récupérer quelque chose au dortoir ; un enfant souhaite confier un secret à un animateur ; un enfant ne sait pas s’essuyer tout seul…

Bien qu’il soit aussi possible de ne pas être seul avec le mineur dans ces situations, il est en revanche difficile de ne pas prendre en compte ces aspects lorsque l’on garde à l’esprit les taux d’encadrement appliqués dans l’animation.

III/ L’analyse de Jurisanimation

Nous pouvons affirmer sans peur de se tromper que le cadre législatif et réglementaire n’interdit nullement aux professionnels de l’animation de se trouver seul avec un ou plusieurs mineurs. Il est ici nécessaire de rappeler que cette interdiction peut en revanche trouver sa place dans un règlement intérieur, un projet éducatif et pédagogique ou d’une directive de l’employeur.

Il semble bien que c’est davantage par crainte que certains organisateurs demandent à leurs animateurs de se contraindre à ne pas être seul avec un ou plusieurs mineurs. C’est très certainement cette crainte qui a fait naitre la légende d’une interdiction juridique.

Or celle-ci, non fondée au vu de ce que nous avons observé précédemment, risque d’interdire certaines pratiques ou pédagogies, alors même que celles-ci pourraient être bénéfiques et éducatives pour les mineurs.

On observe que dans un grand nombre de structures d’animation, cette interdiction répond à une crainte sociale (celle de l’animateur pervers) largement alimentée par les faits divers et leur couverture médiatique. Il s’agit parfois pour ces mêmes structures de préserver leur image, de se sentir protégé en cas contentieux et de maintenir avec les familles des relations « apaisées ». Nous serions plutôt face à un consensus : ne pas laisser un animateur seul avec un enfant.

Pourtant, il semble enfin pertinent de soulever un dernier questionnement : maintenir une telle interdiction n’alimente t-il pas davantage la théorie consistant à considérer les animateurs comme potentiellement dangereux ? La question est posée.

Légende urbaine dans l'animation
Les jeux dangeureux

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