Butsukari renshû et Uchi komi |
Des dictionnaires et des définitions…
Le terme complet est butsukari renshû mais, si cette dénomination
apparaît bien dans le Grand dictionnaire du jùdô,
c’est pour renvoyer à kakari renshû. Or, la définition
de kakari renshû dans ce dictionnaire est proche de ce que nous appelons,
en France, kakari geiko (répéter
une technique en ayant fixé par avance la direction, le déplacement),
alors que, kakari geiko renvoie, toujours dans ce même
dictionnaire, à kake jiai, qui correspond à nos « tate
» !
Toutefois, le Petit dictionnaire du lexique du jùdô
édité par le Kôdôkan,
s’il ne contient pas butsukari renshû, propose kakari renshû
et kakari geiko avec une même
définition qui se termine par « On parle également d’uchi
komi. » (p. 16), ce que confirme l’entrée « uchi
komi », dont l’explication finit par : « On parle également
de kakari renshû ou de butsukari renshû » (p. 12).
Pourquoi ce manque d’unité ?
Si la tentation première est de supposer qu’il ne peut y avoir qu’une seule appellation juste, s’en remettre à l’histoire de la diffusion du jùdô au Japon même puis à l’étranger permet d’envisager une explication un peu différente.
Une appellation « juste » dans le cadre du jùdô, ne pourrait-être qu’une dénomination choisie par Kanô Jigorô. Or, il n’emploie aucun de ces termes dans ses écrits (à notre connaissance en tout cas). Resterait donc le témoignage de ses contemporains et élèves, mais on n’en a jamais trouvé aucun (jusque là) pour décrire aussi précisément le contenu d’une séance sous la direction de Kanô Jigorô et/ou les termes qu’il employait dans ce contexte. Mais cela paraît normal car Kanô était un théoricien de la pratique : il a sélectionné les techniques en se basant sur les principes mécaniques, a révélé le secret de leur application (kuzushi – tsukuri – kake), conçu les katas, offert les piliers (kata, la grammaire; randori, l’exercice libre; kôgi, la conférence ; mondô, la disputation), proposé une direction (par ses écrits notamment, mais aussi les « maximes »). Mais il a laissé à d’autres la logique de l’entraînement. Et les procédés tels que nage komi, kakari geiko, uchi komi, etc. relèvent de cette dernière dimension.
Chaque professeur devenu entraîneur a donc employé l’appellation qui lui avait été soit transmise, soit qui lui semblait la plus pertinente et il n’y a rien d’étonnant qu’en fonction des dojos et filiations, des termes se soient créés et propagés ou que de mêmes termes aient eu des emplois légèrement différents selon les régions ou écoles.
Deux visions
Que M. Michigami ait employé butsukari renshû pour uchi-komi laisse entendre que du côté de Busen (Kyôto) – et donc probablement de la diffusion au travers de la Butokukai -, c’est dans le sens du kakari renshû du Petit dictionnaire du lexique du jùdô qu’il était entendu. Et, quand on connaît les méthodes qu’étaient celles de Busen, cela ne paraît pas étonnant.
Pour le comprendre, il nous reste à revenir au sens des mots. « Butsukari » est un substantif tiré du verbe « butsukaru« : « percuter », « se heurter contre », « bousculer ». Quant à uchi komi :
« Uchi-komi (uchi, l’idée de frapper
perpendiculairement et donc avec un maximum de force), c’est, par des
frappes successives, faire entrer toute la matière dans un moule, dans
une forme. C’est donc, par la répétition, à la fois
former son corps à la technique, et aussi, peut-être, adapter la
technique à sa forme de corps, jusqu’à ce que les deux soient
indissociables, en respectant scrupuleusement toutes les étapes […]
C’est faire de ce processus quelque chose qui nous soit constitutif. »
( p. 125)
On peut donc dire que, dans le cas de butsukari renshû = kakari renshû
= uchi komi, le même exercice
est perçu et décrit de deux façons différentes.
Dans le cas de butsukari renshû, il s’agit d’une description
extérieure : « on rentre dans le partenaire », littéralement
« exercice de percussion », tandis que pour uchi
komi, on insiste sur l’effet, le but de l’exercice : «
faire entrer », « assimiler », « incorporer »
la technique par la répétition.
Deux visions… deux aspects d’un même exercice ou deux réalités, deux rapports au monde ?